Fromages français, italiens, hollandais, québécois…

Le fromage dans l’histoire

Fabuleuse épopée que celle du fromage ! Né de la nourriture essentielle de la vie, il fut sponsorisé par les dieux de la mythologie, experts en science de la table. Mais, chemin faisant, il ne trouva sa pleine maturité que lorsqu’il découvrit son compagnon de route privilégié, ce vin que lui offrit Bacchus. Alors, de cette union, naquirent les plaisirs raffinés de tous les gourmets, qui les retrouvent avec l’anxiété des amoureux avant le plaisir, espérant toujours plus à chaque rencontre.

Au fil du temps, le fromage est demeuré une source féconde de créativité où la science de production a trouvé un lieu d’expression lui permettant d’être reconnu comme un véritable artiste pour ses amis fidèles.

Vers 500 avant notre ère, Archestrate, poète grec, publie La Gastronomie, premier ouvrage consacré à l’art culinaire et au fromage. Hippocrate, quant à lui, décrète que les vieux fromages engendrent la mélancolie et la « bile noire ». Aristote, ensuite, qui fut le précepteur d’Alexandre le Grand et le fondateur de l’École péripatéticienne donna vers l’an 350 avant J.-C. son avis sur le sujet. Sans doute poussé tant par son humour que par son sens critique à l’égard du célèbre banquet de Platon, il affirme que le fromage le plus délicat est celui de chamelle, puis ceux de jument et d’ânesse. Il admet néanmoins que le fromage de vache vient ensuite pour son onctuosité et sa texture grasse. De la chèvre et de la brebis il ne dit mot ! Épicure, aux alentours de 300 avant J.-C, parle de l’artisanat fromager et de l’agrément des fromages.

Au Ier siècle après J.-C, Columelle, dans un traité d’agronomie, recommande de faire cailler le lait soit avec du suc de figuier, soit avec l’estomac de jeunes ruminants non sevrés. Puis il conseille l’égouttage dans des corbeilles de joncs ou des récipients en bois percés de trous (les «fiscellae» ou «faisselles»). Pour activer l’égouttage, on posait déjà de lourdes pierres sur le caillé solidifié. En ce début du Ier millénaire, le fromage pressé fait donc son apparition.

Deux cents ans plus tard, revoici le fromage au lait de jument, le koumys, évoqué par l’historien grec Priskos dans son Histoire de l’Empire byzantin et d’Attila. Au VIe siècle, le médecin de Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths, préconise pour Clovis un traitement à base de fromage frais pour atténuer les traits de son caractère atrabilaire. Ce même médecin considère en revanche que les fromages vieux sont des poisons.

En ce même temps, un cartulaire, document qui régit les droits temporels d’un monastère ou d’une église, nous apprend que la dîme était payée par les paysans à l’abbaye de Maroilles sous forme de « craquegnons », c’est-à-dire de fromage.

Au XIe siècle apparaissent les premières références au merveilleux fromage de gruyère, élaboré dans la vallée du même nom et plus particulièrement dans un ravissant village du canton de Fribourg. Toujours à la même époque on lit dans un traité de médecine de l’école de Salerne (Italie) que « le fromage en fin de repas est un médicament et que, parfumé à l’oignon, il réussit aux fortes constitutions ».

Les croisades exercent alors leur influence par le contact qu’elles impliquent entre les mondes byzantin et occidental et très vite Venise devient une capitale des saveurs orientales en terre européenne. A partir de ce moment, le fromage devient monastique car où mieux que dans un monastère ou une abbaye peut-on travailler le lait et élaborer le fromage avec patience et gourmandise ? Philippe Auguste offre à ses hôtes de marque des pâtes molles de Provins ou de Reuil-en-Brie, délicieusement mûries dans les hâloirs des monastères. Charles d’Orléans envoie des fromages en guise d’étrennes aux dames de son coeur.

Les marchés, lieux de liesse et de rencontres, sont restés au fil du temps les endroits privilégiés de la commercialisation des fromages. Rabelais, qui nous semble si loin lorsque l’on évoque ses dates (1494-1553) et si proche dès que l’on mentionne ses pensées, considère que les fromages de Brie et d’Auvergne tiennent les premières places. D’autres auteurs du même temps citent les fromages de Pont-1’Évêque et de Gournay, ainsi que ceux de Sassenage (près Grenoble). Et à la même époque les fromages de gruyère, de Hollande et même le Marsolin de Florence, moulé en forme de concombre, sont en vogue.

En 1542 le yaourt apparaît à la cour de François Ier avec l’arrivée d’un médecin juif de Constantinople et de son troupeau de brebis. Henri II, fils de François Ier, décrète que le Brie est le roi des fromages. Il existait alors plus de cinquante sortes de fromages en France ! Henri IV, le bon roi, frotte ses fromages du Béarn d’une gousse d’ail…

Il est à noter que dés 1600 à plus de 1850, les Hollandais jouissaient au Japon d’un monopole fromager tout à fait surprenant, exercé particulièrement par leur colonie de Décima dans la province de Nagasaki. A la fin du XVIIIe siècle, il est de mode à la Cour de boire du lait chaud dans les étables. En 1780 s’établit une laiterie suisse à Paris, mais les vaches du lieu se tarissent rapidement, sans doute victimes des prémices de la… pollution! De nombreux fromages sont déjà ou encore réputés: Viry, Olivet, Maroilles, Gérardmer, Remiremont, Camembert… d’Anjou, Harfleur, Barberey, roquefort, Annonay, Septmoncel, Neufchâtel-en- Bray… Brie et roquefort (alors concurrencé par le fromage bleu de Sassenage) restaient toujours les leaders.

Un humoriste du moment chuchota que ce serait sans doute le seul roi que Talleyrand ne trahirait pas ! Metternich, ennemi juré de la République française et de Napoléon, faisait néanmoins servir à sa table le plus grand nombre de fromages français possible et organisait auprès de ses illustres convives des concours pour élire le meilleur du plateau. Le grand gastronome Brillât-Savarin, pour sa part, déguste les fromages après les entremets, d’où son célèbre aphorisme : « Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un oeil. »

Le XIXe siècle, comme en tout domaine, va être celui des grandes transformations dans l’art fromager. Les progrès technologiques et le formidable développement des moyens de transport vont engendrer la diversification et l’essor de cet artisanat jusqu’à lui ouvrir les portes de l’industrialisation. Justus von Liebig, grand chimiste allemand, découvre en 1836 que la fermentation est une série d’opérations scientifiquement identifiables ayant entre elles des interactions progressives. Un quart de siècle plus tard, Louis Pasteur travaillant à Lille, ville de brasseries, avait découvert comment des micro-organis mes provoquaient le processus de fermentation de la bière. Il ne tarda guère à appliquer ses théories aux fermentations du vin et du lait. Il démontre l’influence de la chaleur sur la destruction plus ou moins complète des bactéries. L’un de ses collaborateurs, Ilya Mentchikov, traite spécialement les bactéries acides du lait. Leur destruction sous température élevée devient un procédé industriel : la pasteurisation. Mais attention : pasteuriser ne signifie pas tout détruire! Pasteur a observé que certaines bactéries, génératrices de spores, résistent à la chaleur. Cette distinction se raffine avec les expériences du physicien anglais John Tyndall. L’aube du XXe siècle point. Tant sous le microscope que dans les éprouvettes, le chercheur suit, choisit, sélectionne les bon- nés fées de la maturation, celle qui parfume le coeur du fromage et sa croûte…

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